J’ai bien reçu votre message : Prenons rendez-vous, refaisons le monde ! Il n’attends que ça...
Je suis vraiment désolée de cette violence qui vous a été faite hier. Je vous fais confiance. Vous vous relèverez, et vous trouverez comment faire vivre ce film que vous portez en vous.
Je n’ai pas de consolation à vous donner. Il n’en existe pas vraiment. Juste de la compréhension peut-être...
Cela me rappelle confusément une histoire...
C’est l’histoire d’un petit garçon qui est arrivé il y a très longtemps de Tunisie ; Il venait d’un pays plein de soleil, de jasmin, de dattes ; il est arrivé très brutalement en Normandie. Il y avait de la pluie, de la crème fraîche et des pommes...
Le petite garçon avait 7 ans. Il était très enthousiaste. Il a découvert la neige, le père Noël. Il était plein de bonne volonté pour s’adapter à ce nouveau pays ; plein de curiosité aussi.
En Tunisie, il apprenait à écrire l’arabe. Ici, il s’est passionné pour le grec ancien. En Tunisie, il vivait au rythme de la musique orientale, Raoul Journo, Nathan Cohen... en Normandie, il a intégré le conservatoire. Il a appris Beethoven et Mozart.
Il a commencé le violon, et il était très doué, très passionné. Et pour lui, Mozart ou Beethoven c’était bien. Toute musique était bonne à prendre.
Et l’ascenseur républicain a marché comme on dit.
Il a intégré le meilleur lycée de Rouen, et aussi le meilleur conservatoire, le CNSM...
Il a même fini par y enseigner. Il est devenu un des professeurs les plus fameux de France. Seulement....
Seulement depuis tout petit on lui a dit :
-c’est ça l’arabe ? c’est moche
-La musique orientale, c’est vraiment une musique de sauvage ?
-les tunisiens, c’est des mal dégrossis, il n’y a que le couscous qui les intéressent -les juifs, ça peut pas bien jouer les passions du christ. Ca peut pas comprendre..
Et depuis qu’il était tout petit, toutes ces phrases sont venues creuser la blessure de l’exil...
Alors, moi je me dis : ce petit garçon, si doué, si plein de bonne volonté, si enthousiaste, qui ne demandait qu’à être bien dans ce nouvel environnement qui lui était proposé, malgré les difficultés, malgré une discrète pauvreté, malgré toute la tristesse d’avoir quitté un pays qui était celui de ses parents et de tous ses ancêtres depuis sans doute plus de deux mille ans... était-il nécessaire de lui infliger ces blessures ? Ne pouvait-on pas le laisser adopter la nouvelle culture qui se proposait à lui, sans juger d’où il venait ?
N’était-ce pas à lui de décider à quel moment il était juif, arabe, normand, français, ou même écossais, islandais ou inuit ?
Et pour lui, qui est grand et presque vieux maintenant, l’ascenseur républicain a bien marché. Est-ce qu’on peut imaginer la rage de ceux qui n’ont pas si bien « réussi » ?
Je rêve d’un monde où chacun pourra décider qui il est, pourra décider quelle culture il adopte et que personne ne jugera. On pourra traduire tous les poèmes qu’on veut, faire des films sur le sujet qui vous intéresse, et ouvrir une pizzeria même quand on est né à Gueret de parents creusois . Juste parce qu’on aime la pizza...
Alors, prenons rendez-vous pour refaire le monde, chiche ?
Votre amie,
Hélène